Il aura sans doute fallu une bonne dose de courage à Hassane Diab pour être le premier chef du gouvernement de l’histoire de ce pays à oser annoncer à la face du monde que le Liban est en passe de devenir à partir d’aujourd’hui un État failli, incapable de tenir ses engagements financiers auprès de ses créanciers. Ce courage, le Premier ministre a, certes, dû le puiser dans les très nombreux avis formulés de toutes parts, tant dans les milieux politiques que civils, en faveur d’une telle démarche, même s’il est évident, à l’heure actuelle, que le débat autour de l’opportunité de cette option est loin d’être clos, y compris au sein du camp politique qui parraine le cabinet Diab.
Mais laissons ce débat – et ses terribles dilemmes – de côté pour nous concentrer sur les tenants et aboutissants de la décision « historique » prise par le pouvoir libanais et rendue publique par le chef du gouvernement. Ce dernier a paru plutôt en osmose politique avec ce pouvoir, alors même qu’il eût pu s’en détacher quelque peu au nom d’une indépendance revendiquée dès le premier jour et qui est somme toute plausible, en dépit de l’épisode – négligeable– de sa participation au gouvernement Mikati (2011-2014).
Un mot, un seul, ressort de la prestation à laquelle s’est livré samedi soir le Premier ministre : la peur, la peur de tout, peur des réactions de la rue, peur des mots qui fâchent, peur des parrains politiques, peur de s’engager dans un sens plutôt que dans l’autre, peur de dissoudre l’écran de fumée populiste qui sert aujourd’hui de politique, peur de creuser, de toucher à la vérité, peur de dire ce qui est…
On peut comprendre que Hassane Diab soit resté plus ou moins vague sur le train de mesures que son gouvernement est appelé à prendre dans les jours, les semaines et les mois qui viennent, en relation avec les réformes promises dans le cadre du processus de CEDRE et, de façon plus urgente encore, avec les inévitables retombées du défaut de paiement. On comprend que de vilains mots comme « TVA », « taxe sur l’essence » ou « facture d’électricité » puissent avoir un effet combustible sur le mouvement de contestation, mais jusqu’à quand continuera-t-on de jouer à cache-cache avec ce qui apparaît aujourd’hui comme des certitudes ?
On sait combien sensible et douloureuse est la question du recours au Fonds monétaire international, mais ne revient-il pas justement à un responsable digne de ce nom d’éclairer son peuple en lui disant avec franchise si ce recours est à ce stade évitable ou pas, et quel est le prix à payer dans un cas comme dans l’autre ? Ou faut-il continuer à parler au peuple libanais comme on s’adresse à un gamin, un analphabète ou un débile profond ?
On ne peut qu’approuver des choix politiques en faveur de l’investissement et de la création d’emplois, mais est-il nécessaire pour cela de rabâcher encore une fois le cliché sur « l’économie productive contre l’économie de rente » dans un sens populiste qui donne à croire qu’il faut privilégier des secteurs économiques qui n’ont jamais été performants au Liban aux dépens d’autres qui l’ont – souvent – été ?
Et tout cela n’est rien devant la peur des mots qui transpire de l’énoncé des causes qui, selon le Premier ministre, ont mené à la situation actuelle. Une peur qui le fait parler de la corruption comme on en parle dans des salons de coiffure, avec la différence notable que lui-même fait le tour du sujet en moins de deux minutes…
Une peur qui l’empêche d’explorer la vaste zone située au-delà du seul constat de l’endettement excessif, comme si le but était de suggérer, comme le font d’ailleurs plus franchement nombre de ses parrains, que d’aucuns parmi ses prédécesseurs pratiquaient l’emprunt comme on fait de l’art pour l’art… Rien sur la taille obscène d’un État-mammouth qui vit depuis longtemps au-dessus de ses moyens pour la simple raison que le clientélisme de masse en est devenu l’unique sève. Rien sur une grille des salaires dans le secteur public à propos de laquelle les responsables ont copieusement menti au peuple lorsqu’ils prétendaient en avoir assuré le financement. Rien sur les causes du lamentable échec qui a creusé au-delà du supportable le déficit d’un secteur électrique dans lequel le Liban était jadis– peut-on aujourd’hui le croire ? – un pays exportateur… Rien sur la défiguration du patrimoine et la destruction systématique de l’environnement d’un pays à vocation touristique, rendues possibles par des politiques laxistes mues, encore une fois, par le clientélisme…
Une peur qui fait parler le Premier ministre de « guerres », sans même qu’il nous dise lesquelles, sans même qu’il évoque les terribles effets d’une diplomatie qui a largement contribué toutes ces dernières années à isoler le Liban en l’éloignant inexorablement de ses amis et de ses donateurs traditionnels…
Et, enfin, une peur panique qui pousse le chef du gouvernement à ignorer complètement dans son énoncé la dérive politique qui, depuis la fin de la guerre, mais surtout depuis l’accord de Doha en 2008, a rendu l’État libanais ingouvernable…
En annonçant la désastreuse nouvelle, Hassane Diab aurait pu, lui qui est étranger à toutes ces causes, donner samedi le signal d’un nouveau départ pour l’État libanais, et de l’espoir au peuple. La peur, pour ne pas dire autre chose, l’en a visiblement empêché…
commentaires (10)
Ce PM fait le job. Il assume des décisions courageuses et fait le ménage sans tambour ni trompettes. Laissons-le bosser tout en gardant l'œil bien ouvert.
Marionet
19 h 58, le 09 mars 2020